Terres de vignes

avec des photos de Frank Mulliez aux éditions Géo, 2007
Mon éditeur m'a contactée pour réaliser ce livre avec le brief suivant : "C'est un texte qui se veut une balade, une invitation au voyage, à la découverte du paysage viticole avec du ressenti, de l'émotionnel.”
Je ne pouvais rêver mieux… Le jeu a consisté à choisir un angle particulier pour chaque région. La grande difficulté fut d’être à la hauteur pour chaque chapître sans tomber dans des clichés ou des banalités. Le fait qu’il s’agissait de vignes vues du ciel, et plus largement de la France vue du ciel, a été d’une grande aide. Sorte d’élévation au-dessus du pays alors que ma dimension habituelle de „recul” se situe géographiquement à l’est de l’Europe.
Jean-Michel Cazes, pour qui j’ai un immense respect, a choisi d’offrir ce livre aux lauréats du DNO (diplôme national d’oenologie) en 2008. Je l’en remercie chaleureusement.
C’est aussi grâce à ce livre que j’ai reçu le Prix Amunategui-Curnonsky, en novembre 2007.

Introduction, extraits
 « Ce génie vu du ciel est impressionnant. La France abonde de terres à vignes. Le Languedoc et le Bordelais, pour ne citer qu’eux, en sont tellement baignés qu’on y distingue à peine la place dédiée aux chemins, aux bâtisses même. Parfois, cette vue inhabituelle réserve des surprises : certains crus mythiques se réduisent à une simple bicoque. Mais là, c’est la splendeur des parcelles qu’il faut admirer.
A Saint-Emilion et dans le Médoc, le paysage parle un langage bourgeois d’ordre et d’abondance. Les demeures sont lissées, tirées à quatre épingles, les parcs sont taillées, disciplinés. Plus bas, au seuil des Pyrénées, la verticalité des pentes d’Irouléguy ou de Banyuls rappellent à quel point le vigneron montagnard apprivoise les terrains, s’approprie les reliefs, capable de livrer heures et sueur pour extraire le meilleur du terroir.
Et il y a le temps, implacable. Tous ces châteaux, d’Alsace ou des Corbières, accrochés au-dessus des vignobles, restent intouchés, ruines qui, depuis des milliers de lunes, ont toujours la même forme.
Survoler la terre ouvre les yeux, offre à l’esprit une nouvelle vision du monde. Le vin est l’oeuvre de cette diversité, le reflet de son lieu de naissance. Un saint-estèphe ne sera jamais un vin du Pays Basque. Savennières et pouilly-fuissé, hormis les cépages, n’expriment pas le même goût : l’un raconte la Loire langoureuse, l’autre les roches conquérentes de Vergisson et de Solutré. »

Chablis et l’Yonne (p. 30)
« Le soleil s’est levé, halo de lumière, sous une légère brise. Les croupes des Auxois, belles bêtes carrées au poil roux et brillant, fument dans la brume. Les odeurs se mêlent, de fleurs fraîches et mouillées, d’humus, de terre humide et de feuilles tassées… Arômes puissants de cuir chaud, le harnais sous lequel transpire l’animal. Le sabot cogne le sol, les naseaux frémissent, l’impatience gronde. Le départ est donné, à 7 heures pétantes, devant la magnifique basilique Sainte Marie Madeleine de Vézelay, haut lieu de pélerinage depuis le XIIe siècle. Les attelages se mettent en branle dans des crissements de roues et le froufrou des crinières et traversent les ruelles aux escaliers en tourelle et aux portes sculptées.
Nous voilà trottant dans la pente goudronnée, puis s’engoufrant dans les chemins étroits, traversant les prés, tapis de verdure, longeant les rangs de vigne qui pointent leurs sarments feuillus vers le ciel. Le cheval, le meilleur ami de l’ami du vin, nous bringuebale à un rythme tranquille dans ce qui fut, du XIIIe au XVIIIe siècle, le plus grand vignoble de France. »

Sublime et mystérieux royaume des brumes (p.154)
« Sur cette même terre, les paysages sages se heurtent à la verticalité de la forêt des Landes, l’autre grande culture régionale, et perpétuelle source d’inspiration pour François Mauriac. Par là se cachent des lieux fascinants noyés dans le passé, magnifiques fermes aux portes cochères restées fermées. Tableaux vivants que l’on croirait échappé d’une toile de Corot, comme si le temps s’était arrêté. Après La Brède, c’est le royaume des brumes et du botrytis. Le Sauternais s’enfonce, sublime et mystérieux, dans une campagne ondulante où la promenade dans le temps continue, cette fois loin du bouillonnant centre ville. Dans cette enclave des Graves, les châteaux s’enchaînent, grandioses, offrant les plus beaux décors du Bordelais, mi-sauvages, mi-civilisés, balançant entre polyculture et vignes de haute couture, sauternes complexes et barsac en dentelle. »

Le lieu de l’éternité gasconne (p.128)
« On comprends vite pourquoi le Gers est le département le plus agricole de France : les trois quarts de ses terres offrent, fruit d’une patiente domestication, céréales, maïs, colza, tournesols, cultures maraîchères, dessinant des carrés ocres, pastel, terre de Sienne, blancs laiteux des terres sèches, la vigne et les bois faisant tinter les verts.
A l’extrême variété agraire correspond une grande mosaïque de sols qui donne là aussi naissance à une ribambelle de styles architecturaux, édifiés à une époque où l’industrie n’existait pas. Pans de bois, torchis à la couleur fauve, terre cuite, terre crue, grès, galets ou brique, calcaire des tailleurs de pierre... „Le paysage n’est pas une fatalité : il est le reflet de notre façon de vivre, de nos rapports avec la nature”, disent les paysagistes.
Jamais région n’a regorgé d’autant de bordes (fermes), de châteaux, d’églises, de moulins, de lavoirs, de granges, de cabanes, de pigeonniers éparpillés. Et de bastides... Typiques du Sud-Ouest, elles ne sont autres que les „villefranches” du nord. Pourquoi alors tant de passion pour ces villages créés ex nihilo (ou presque), au XIIe et XIIIe ? »
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